jeudi 20 septembre 2007

La sensitive

Lucette s'est levée plus tôt que d'habitude aujourd'hui
Pas qu'à l'ordinaire elle se léve tard, mais dans quelques heures
il y a le petit qui va arriver
Elle le voit si peu depuis qu'il a pris la parole et des centimètres
A chaque fois elle fait un effort de mémoire,
et l'image de l'enfant qu'a été son petit fils glisse sur ses yeux
L'emerveillement quand elle a appris que sa fille était enceinte
La joie au jour de la naissance et ce rire qui lui a pris lorsqu'elle
a lancé à la jeune mére " maintenant tu va comprendre "
Les premiers tout qui s'égrainnent au fil du temps
L'enfant qui grandit en caressant le visage où les rides apparaissent
Jusqu'au jour où le monde autour est tellement différent
qu'on est pas sûr de suivre et de comprendre
Mais il y a le petit, et il vient aujourd'hui
Alors rien n'a d'importance
Il ne va pas rester trés longtemps, ça Lucette le sait
C'est qu'il est tellement occupé par son travail aussi

Dans la cuisine, elle a ouvert la fenêtre, pas trop à cause des courants d'air
Des fois qu'elle attraperait froid elle serait bien embettée
Il ne lui restait plus grand chose à faire, tout était là sur le plan de travail
Elle avait acheté des amandes et des pistaches pour ajouter dans la pâte
qui avait reposée toute la nuit
Méticuleuseument, elle décortique, rince, et écrase en petits morceaux
Elle sort la plaque du four qu'elle allume, Thermostat 7
Elle passe un morceau de beurre frais sur la surface
Elle arrache à la pâte, par petites poignées
qu'elle dépose sur la plaque, des disques épais
Elle prend soin de placer un demi cerneau de noix au centre à chaque fois
Elle referme la porte du four, saisit le minuteur qu'elle régle
Jette un oeil à sa montre, sort les bâtons de canelle et le miel du placard
L'eau frémit déjà dans la casserole, le thé noir attend au fond du pot
Les verres qu'il lui a offert Noël dernier sont sur le plateau
L'odeur commence à se répendre dans l'appartement
File sous la porte et envahit le palier
Ce parfum de sucre, de croquant qui met au supplice le palais
Mêlé à la chaleur du thé à la canelle

Le fond de l'air est doux ce matin, le ciel délicieusement bleu
Lucette descend au jardin commun flâner un peu
Elle a 7 minutes
7 minutes pour se retenir de respirer, approcher le doigt le plus lentement possible des petites feuilles ouvertes
Quelques secondes pour passer la pulpe de son index sur la surface verte
De toutes petites secondes pour caresser une plante qui se trouble aussitôt
Elle soupire d'aise et d'attendrissement en observant les feuilles se refermer
comme en prière, ou comme ces plantes carnivores qui piège les insectes
Elle attend avec calme que la sensitive veuille bien se dévoiler à nouveau
Cette fois, elle soufflera doucement avant de remonter
Il ne va plus tarder maintenant

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