jeudi 6 décembre 2007

Course poursuite

Ca fait bien vingt putain de minutes que je la regarde là en bas.
Elle n'a pas bougé d'un pouce depuis qu'elle a tourné dans la rue.
Je l'ai vu s'effondrer au ralenti sur le trottoir.
Elle s'est disloquée, comme ça, un membre par un membre.
Encore une cigarette que je grille à ma fenêtre.
Est ce que je descends ou pas?
Les passants détournent la tête quand ils passent prés d'elle.
Ca n'a pas l'air de la déranger, peut être même que c'est l'inverse.
Oui ça l'arrange, c'est sûr, elle ne bouge pas d'un poil.
Qu'est ce qu'elle fait là à cette heure?
Je l'ai jamais vu ici avant, jamais.
Petite conne sur le pavé.
Ca m'exite une fille comme ça, qui a l'air en détresse.
Si je descends je vais pas faire le malin...

Il noye son mégot dans le fond de whisky, cueille un pois de senteur.
Il est dans l'escalier quand il se met à douter.
Il a l'air de quelqu'un qui réfléchit.
Il descend.

Qu'est ce qui m'a pris de partir encore une fois?
Je ne vais pas passer ma vie à claquer la porte derrière moi pour l'ouvrir à nouveau ensuite, je perds mon temps.
Je sais même pas où je suis... ni où est ce que je vais aller.
Je refuse d'y retourner, pas cette fois.
Il faut que je trouve, il faut.
Si je me léve, je vais marcher, oui c'est ça, je vais marcher jusqu'à ce que je tombe, et quand je tomberai je me reléverai encore, et encore.
Jusqu'à ce que j'en créve.
Ca ne sera jamais pire que quand j'étais encore là bas.
Je ne veux pas y retourner, bordel non je ne veux pas y retourner.
Il va encore pleurer, il va encore s'escuser.
J'ai pas la force dans mes petits poings pour lui donner ce qu'il mérite.
Ce trottoir est glacé, merde j'ai froid!
Tant pis je vais rester là, je vais geler.

Elle s'est levée, j'en suis sûr.
Elle a dû m'entendre dévaler les marches et elle s'est cassée.
Il faut que j'aille vérifier, il faut que je sache.
Je sais pas pourquoi, mais j'y vais.
Et puis non, je remonte, c'est n'importe quoi.
Merde le voisin qui descend.
C'est pas compliqué, j'ouvre la porte et...

Il est dans la rue, elle tremble en essayant de se relever.
Son écharpe tombe dans la poussée.
Il se précipite pour la ramasser, l'air de rien.
Il lui tend le morceau de tissu, elle le regarde comme si qu'il n'existait pas.
Ses yeux passent à travers son corps, quelque part ailleurs, loin.
A peine le temps de murmurer un merci en baissant la tête,
et elle voit la fleur ridicule, un peu fanée.
Elle la lui tend.
Il bredouille que ça n'est pas la peine, qu'elle la garde si elle veut.
Le monde entier s'engouffre entre eux deux.
Elle est derrière la fenêtre.

Où est ce que je suis?
Comment je peux tenir debout...
Merde et ce type, c'était qui?
C'est surement lui, il a dû frapper derrière ma tête, quelque chose comme ça.
Mais pourquoi je suis debout.
Quelqu'un court en bas.
Fenêtre à la con, tu va t'ouvrir oui!
C'est lui, il entre dans l'immeuble.
Sûre que c'est chez lui, il faut que je descende, et vite.

Qu'est ce qui s'est passé?
J'étais face à elle et je me suis retrouvé au bout de la rue.
Elle est forcément là haut.
Ou alors je deviens dingue.
Si elle est là haut je n'ai pas rêvé, autrement...

L'un dévale l'escalier, l'autre monte les marches 4 à 4.
Ils arrivent nez à nez entre deux étages.
En coeur
"Qu'est ce qui s'est passé?"
Ils s'observent comme deux animaux effrayés.
Il bredouille doucement "tu étais là haut"
Cette fois, elle le voit.

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